4.8.23

Ruralité

Le bonheur est au coin de la Rhue : récit d'une partie de pêche à la mouche dans le Cantal
 
 
Le bonheur est au coin de la Rhue : récit d'une partie de pêche à la mouche dans le Cantal
Régulièrement, les hameçons sont touchés, mais il faut de drôle de réflexes pour ferrer ici. Yannick Tournadre y parvient finalement, ramène délicatement une belle fuselée, musclée, la relâche aussitôt. © PIERRE CHAMBAUD 
 
Il faut avoir un sacré brin de confiance pour partir sur les berges d’une petite rivière en première catégorie un chaud jour de juillet, en pleine matinée, et toujours espérer séduire des truites à la mouche. La Rhue à Condat est de ces rivières qui inspirent la confiance, dans un cadre extraordinaire.

Il y a un peu de magie dans ce cadre de juillet, entre l’eau, couleur thé noir, les feuilles vertes qui posent un épais couvercle sur la Rhue, et les berges sombres qui font ressortir le lit de la rivière, parsemé de rochers clairs.Ça, c’est ce que le profane voit. C’est beau, déjà. Philippe Venel et Yannick Tournadre, canne à la main, surveillent plus exclusivement l’eau et ses "veines", ses courants, pour percevoir l’invisible : les truites sauvages qui s’y prélassent, gueule ouverte, à la recherche d’un insecte à gober.

La démarche. Notre série Au fil de la Rhue va travailler sur cette rivière qui traverse le nord du Cantal, à l’échelle de tout un bassin-versant extraordinairement varié, des méandres d’altitudes proches des sources de l'Impradine jusqu’à Bort-les-Orgues, des tourbières du Jolan au barrage de Lastioulle. Parmi ces cours d’eau, il y en a des préservés, qui ravissent les pêcheurs et les touristes, des abîmés, par les diverses pollutions, des aménagés, par l’homme, pour la production d’énergie. L’idée est de prendre le temps de saisir les synergies qui apparaissent à l’échelle d’un bassin, ou comment une zone humide au Claux peut avoir un impact sur les turbines d’un grand barrage, 50 kilomètres en aval…

Nymphe sortie, ils proposent et elles disposent. Il est onze heures du matin, et l’on pourrait penser les poissons endormis, fatigués par la chaleur, mais il fait frais sous les arbres. Régulièrement, les hameçons sont touchés, mais il faut de drôle de réflexes pour ferrer ici. Yannick Tournadre y parvient finalement, ramène délicatement une belle fuselée, musclée, la relâche aussi tôt :

Elle est faite pour le courant celle-là… 

Le président de l’association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques de Condat a des souvenirs couleurs sépia qui reviennent quand il s’agit de parler de la Rhue. Il n’y a pas de pêcheur dans la famille, mais son lointain prédécesseur le prend sous son aile et "à sept ans, c’était les bottes et le vélo. J’habitais dans la grande rue de Condat, et je descendais à la rivière. La Rhue, c’est des souvenirs avec un copain de vacances, de belles prises, la baignade et le repos."

Quatre décennies plus tard, l’essentiel reste là.

Il n’y a que là que j’ai de la patience, se marre-t-il. Je m’y repose, j’oublie toute la merde que j’ai pu accumuler dans la semaine. 

Yannick Tournadre est bien tombé, à grandir près de cette rivière. Philippe Venel, lui, a dû s’en rapprocher.

Le Puydômois a acheté à Trizac, il y a cinq ans. La Rhue, la Santoire, il connaissait "de réputation. Je savais que c’était un endroit où l’on pouvait pêcher de vrais poissons sauvages." Il pourrait basculer sur l’Auze, la Sumène, mais il vient plutôt de ce côté-là, a pris sa carte à Condat :

La Rhue a un caractère plus sauvage. On voit qu’elle a souffert avec l’hydroélectricité, mais il y a des passages conservés dans les gorges. 

Remonter la rivière entre la turbine de la micro centrale municipale et la voûte du barrage correspondant est, de fait, un petit bonheur malgré les aménagements qui ont été faits. La rivière est résiliente, et la Rhue souffre moins que sa voisine, la Santoire, plus accessible. Là-haut, de Saint-Bonnet-de-Condat à Dienne en passant par Saint-Saturnin, l’absence d’arbre sur les berges, les pollutions ponctuelles, ou la microcentrale font régulièrement soupirer les pêcheurs et inquiètent pour l’avenir, fait de sécheresses.

La Rhue n’a pas connu l’eau à 25° létale pour les truites, sur les étendues sans arbres du plateau du Jolan. Elle peut remercier sa ripisylve, épaisse, sa relative inaccessibilité aussi. Mais si l’exemple est bon, tout est toujours fragile : s’il faut des décennies pour bâtir une telle voûte, il ne faut qu’un peu d’inconscience et une bonne tronçonneuse pour l’abattre et mettre tout le monde devant le fait accompli."Pour moi, l’avenir est menacé si les décideurs ne prennent pas conscience qu’il faut partager cette ressource et faire en fonction du changement climatique, estime Yannick Tournadre. Je suis prêt à modifier les périodes de pêche pour ça !"

Cette conscience existe-t-elle aujourd’hui ? Il écarte les mains.

Je n’en suis pas certain, lâche-t-il. Tant que la rivière coule, ça va. C’est tout… 

Sur les réseaux sociaux, depuis qu'il a repris le flambeau, l’Association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques de Condat se présente comme une AAPPMA de… combat.

L’association prend très à cœur sa mission de protection des milieux aquatiques, et dénonce, régulièrement, toutes les pollutions qui se déroulent sur son secteur, comme la relâche de sédiment du barrage de Sautevedelle, situé juste en amont de Condat, exploité par la mairie.

En décembre 2021, la boue avait envahi, en aval, notamment le no-kill défendu par l'association. "C’est un incident minime, sans conséquence, sans mortalité piscicole, qui a été amplifié par l’association de pêche, commente Jean Mage, le maire. On a manœuvré pour ouvrir et laisser passer des sédiments un jour de crue, mais on n’a pas pu refermer la vanne, et elle est restée ouverte pendant une heure."

Sur ce sujet, pêcheurs et mairie restent en désaccord. Plus généralement, le barrage de Sautevedelle, construit en 1990, est une rupture de la continuité écologique de plus sur la Rhue, où les barrages sont nombreux, et a nécessairement un impact sur la biodiversité. Mais maintenant qu'il est là...La mairie de Condat défend plutôt son bilan, côté hydroélectricité : "On produit de l’énergie verte, dans une vallée verte où l’on est proche de la nature, explique le maire, Jean Mage. C’est quelque chose que nous pouvons rentabiliser."

Elle a hérité du gros barrage, et l’électricité est vendue, année après année. EDF a longtemps été obligé d’acheter l’électricité à un tarif fixé à l’avance mais, désormais, Condat négocie :

C’est une ressource importante pour le budget de la commune, notamment en 2023 avec la hausse des prix de l’énergie.

Depuis, plusieurs autres turbines ont été installées, notamment une… sous le barrage, plus récemment, pour turbiner l’eau du débit réservé : "On voyait cette eau passer, on considérait que c’était de l’argent perdu", explique-t-il.

Encore plus simple : des turbines ont été mises sur le réseau d’eau potable, et rapportent, là encore, une somme appréciable. Au total, les recettes du budget annexe dédié à la production d’hydroélectricité de la commune oscillent entre 400 et 500.000 € par an.

Les pêcheurs, eux, surveillent le milieu. Il y a le barrage, mais pas uniquement. L’association s’est également distinguée en créant un important parcours no kill sur la Rhue, dans sa partie urbaine. Les lâchers de poissons se limitent, sont passés de 600 kg de truite en 2016 à 100 cette année.

L’association travaille énormément sur la prévention, en expliquant comment tenir, décrocher une truite, la relâcher sans l’abîmer, ou en mettant en place des panneaux pour sensibiliser les baigneurs aux problèmes posés par la construction de petits barrages improvisés.

De la prévention, sans sanction. Ils ont pourtant été dégradés… Les mauvais comportements continuent, et il n’est pas rare que les pêcheurs retrouvent des hameçons triples (interdits, et précisé sur les nombreux panneaux…)

"Il faut que l’on s’inspire de ce qu’il se fait ailleurs, s’agace le président Yannick Tournadre. Il y a des pays où ils protègent plus, surveillent plus, et quand ils tapent, ils tapent plus fort." Problème : les garde-pêches particuliers, assermentés, sont rares, et le poste est peu enviable.

Cette stratégie a un impact inattendu : comme il est possible de prendre sa carte de pêche où l’on veut, des pêcheurs de toute la France la prennent désormais à Condat :

Ils adhèrent à cette philosophie de la pêche qui va avec la protection des milieux aquatiques. Ça, c’est une bonne chose pour le pays…